L'incroyable force du jeûne
Chère lectrice, cher lecteur,
Hier mercredi 5 février, 2,3 milliards de chrétiens célèbraient le « mercredi des Cendres », jour de l'entrée en Carême.
Moins connu que le Ramadan, le Carême est une période de 6 semaines et demie de jeûne, qui s'achève le dimanche de Pâques. La différence avec le Ramadan est que le jeûne dure toute la période du Carême, sauf les dimanches, alors que le Ramadan est paradoxalement une période de forte augmentation de la consommation alimentaire, due aux fêtes rituelles qui ont lieu chaque soir. Selon certaines études, cette hausse atteint jusqu'à 30-35 % par rapport au reste de l'année [1].
Pourquoi le Carême dure-t-il six semaines et demie, soit 46 jours ? Parce que, pour se préparer à Pâques, fête de la résurrection de Jésus, les chrétiens commémorent les 40 jours que Jésus passa au désert, sans boire ni manger (y compris la nuit). Or, les dimanches du Carême ne sont pas jeûnés. Vous retirez donc 6 dimanches de cette période de 46 jours et vous obtenez... bravo, 40 jours.
A vrai dire, l'Eglise catholique peine fortement aujourd'hui à convaincre ses ouailles des bienfaits d'un jeûne si long, qui n'est plus pratiqué que par une infime proportion des chrétiens. Mais le relais a été repris avec brio par la chaîne ARTE, auprès d'une toute autre population, beaucoup plus nombreuse, et enthousiaste.
En mars 2012, elle diffusa un reportage intitulé « Le jeûne, une nouvelle thérapie » qui connut un tel record d'audience qu'il fut rediffusé en septembre 2013. Le réalisateur, Thierry de Lestrade, publia de plus chez ARTE éditions un livre, du même nom, avec des témoignages supplémentaires et de nouvelles perspectives.
Pourquoi un tel succès ? Parce qu'il n'était plus du tout question de Jésus, d'évangiles, ni même de spiritualités. Ce reportage était en effet consacré aux vertus du jeûne dans le traitement des maladies graves, notamment le cancer, et c'est évidemment cela qui explique les succès de ce jeûne nouvelle formule.
Jeûner pour guérir. Avant tout, précisons que cette méthode thérapeutique est combattue désespérément par le système médical, coincé dans sa bulle « une maladie, un médicament », et qui ne saisit toujours pas les capacités naturelles de l'organisme à se rétablir.
Il est vrai que de nombreux jeûneurs se lancent dans cette pratique en quête de spiritualité et d'absolu. Ils contournent la science et se réfugient dans les néo-religions où les gourous de tout poil sont à la manœuvre.
Toutefois, le sujet intéresse aujourd'hui des scientifiques de haut vol, et même si les financements (il n'y a rien à vendre…) sont inexistants, les résultats sont tangibles, facilement reproductibles, et à la portée de chaque malade.
Le jeûne est en effet adapté à l'ensemble des pathologies du « trop » qui délabrent nos organismes : allergies, rhumatismes, maladies auto-immunes, hypertension, diabète, cancers, dégénérescence cérébrale… Toutes ces maladies ont un lien direct avec l’alimentation ou l’exposition à des produits chimiques.
Il faut avoir conscience de cette intoxication délétère pour accepter de se soigner par le vide, sans écouter les sirènes médicales qui se réfèrent encore à l'obligation vitale d'une alimentation pluriquotidienne, riche en céréales et en produits laitiers.
C'est au XIXe siècle que des médecins, aux Etats-Unis, se sont penchés pour la première fois sur les vertus thérapeutiques du jeûne, hors de tout contexte religieux.
Il faut dire que le cadre était propice aux médecines douces. Les médecins « cowboys » américains faisaient encore plus fort que leurs confrères européens dans l'utilisation de méthodes fortes pour combattre les maladies. En plus de la saignée, des lavements et des vomitifs bien connus en Europe, la pharmacie du médecin américain était principalement composée de produits extrêmement toxiques : alcaloïdes (opium, apomorphine, digitaline) et sels de métaux tels que le mercure, le plomb, l'arsenic et l'antimoine.
Il ne faut pas s'étonner si c'est là-bas que le public a réagi avec le plus de vivacité aux excès de la médecine dure. Comme nous l'avons expliqué dans une précédente lettre, c'est aux Etats-Unis que l'homéopathie connaît le plus grand succès, avec 12 % des médecins qui la pratiquent au XIXe siècle.
En parallèle, plusieurs médecins s'efforcent de faire connaître les bienfaits du jeûne avec les méthodes de l'époque. Ainsi le Dr Henry Tanner se met en scène pour un jeûne de 40 jours, dans un théâtre de Manhattan, sous la surveillance étroite d'une cohorte de médecins suspicieux qui l'entourent jour et nuit. Son jeûne commence le 28 juin 1880. C'est l'événement de l'année : de nombreux badauds viennent en permanence encourager le jeûneur, tandis que les deux journaux leaders New York Times et New York Herald en font une rubrique quotidienne. Du coup, les journaux de tout le pays embrayent sur cette affaire.
La mesure de poids, de pouls, le rythme de respiration, sont annoncés régulièrement.
Les lettres d'encouragement affluent de toute la terre, et le jeûne se poursuit sans incident jusqu'au 7 août, comme convenu. Tanner a perdu 16 kilos, il est vif et bien vivant, et les mises en garde du corps médical contre les prétendus dangers du jeûne n'effraient plus personne.
Dès lors, et actuellement en 2014, nous nous retrouvons peut-être dans des circonstances équivalentes, la voie est libre pour aménager des jeûnes au profit d'une population plus importante. De nombreux centres de jeûne voient le jour. L'éditeur MacFadden met en place à Chicago un « Healthatorium », centre de fitness où le jeûne se pratique avec des exercices de sport, des massages et des saunas. En parallèle s'organisent des réseaux de « drugless physicians », des médecins qui ne prescrivent aucun médicament et soignent en appliquant homéopathie, jeûne et manipulations (rappelons que l'ostéopathie fut elle aussi fondée aux Etats-Unis, en 1874, par A.T. Still).
Mais en quelques dizaines d'années, le corps médical est repris en main. Le savoir est verrouillé par le système universitaire avec un monopole de fait sur les « bonnes pratiques », celles que le « bon » médecin doit appliquer, sans quoi il se met en dehors de la profession, au civil comme au pénal…
Le jeûne est petit à petit délaissé pour devenir une pratique douteuse exercée par des illuminés ou des charlatans.
Mais les recherches sur le jeûne se poursuivent, par le plus grand des hasards, de l'autre côté du Rideau de Fer.
Les régimes totalitaires sont propices aux expériences scientifiques novatrices à grande échelle, car ils instaurent à la fois :
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une pénurie de moyens et de compétences, qui fait qu'on est obligé de chercher des solutions plus efficaces et moins chères ;
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un système hiérarchique implacable, qui fait qu'une initiative « dans la ligne du parti » sera appliquée sans discussion et parfois sur des populations importantes et de longues durées. De quoi acquérir des résultats tangibles.
Des expériences en Union soviétique ont ainsi montré que le jeûne agit vraiment « à la base » de l'organisme pour rééquilibrer de nombreuses fonctions essentielles.
Le médecin Youri Nikolaiev est désigné en 1955 pour soigner l'alcoolisme forcené du fils d'un dignitaire du Parti, Nicolai Boulganine. C'est un sujet difficile qui a mis en échec de nombreuses équipes médicales ayant eu recours à la pharmacologie existante. Grâce au jeûne, il est débarrassé en trois semaines de son addiction, à la grande satisfaction de son père, qui ouvre la porte de plusieurs services à cette nouvelle thérapie.
Nikolaiev peut alors expérimenter le jeûne auprès d'autres catégories de malades. Il observe des résultats étonnants chez les dépressifs suicidaires, qui se sentent rejetés et dévalorisés au sein de leur groupe ou de leur famille. Au bout de deux semaines de jeûne, les voici généralement moins inquiets et plus intéressés par leur environnement et leur assiette.
Il en est de même des angoissés et des personnes atteintes de TOC (troubles obsessionnels compulsifs) ou d'enfermement psychique. Gavés de neuroleptiques et vivants dans une bulle, quelques semaines de jeûne leur permettent de revenir à des rapports sociaux normaux. Les taux de neuromédiateurs (adrénaline, acétylcholine) se normalisent, ainsi que les rythmes cérébraux.
Il met toutefois en évidence un critère fondamental de succès : le consentement des patients. Souvent, pour faciliter la démarche, Nikolaiev exige que les médecins jeûnent eux aussi au côté des patients.
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